Il grigio ha preso il potere: cosa dice di noi? [juillet 2023]

> Adrian Chiles, grand chroniqueur du banal, s’insurge, dans “*The Guardian*”, contre la monochromie des objets du quotidien.

> Un jour, un ami est venu me voir dans l’appartement où je venais d’emménager. Il s’agissait de Lee Dixon, ancien footballeur [d’Arsenal] et alors collègue à la télévision. Après avoir regardé mon nouvel intérieur d’un air approbateur, il a déclaré :

> “Fais attention, tes tapis sont gris, tu as un canapé gris et des murs tout gris. Il y a ces grandes fenêtres qui donnent sur le ciel gris. Tu as les cheveux gris et tes vêtements le sont aussi. Tu fais parfois grise mine. Tu te fonds dans le décor. Je te vois à peine. Il faudrait peut-être songer à porter des vêtements réfléchissants.”

> Les footballeurs peuvent être sans pitié. Lee n’avait toutefois pas entièrement tort, et j’essaie depuis de me dé-griser. Ce qui n’est pas chose facile dans le monde où nous vivons. Ayant récemment changé de voiture, il m’a fallu choisir sa couleur. Un océan de possibilités s’offrait à moi : une variété infinie de nuances de gris. J’ai donc opté pour du gris.

> Jetant un oeil autour de moi, j’ai alors constaté que la plupart des voitures d’aujourd’hui étaient grises. Outre que cela participe à la neurasthénie ambiante, c’est certainement loin d’être idéal sur le plan de la sécurité. Tout comme moi dans mon salon, nous nous fondons tous dans le décor de la route et, bien souvent, du ciel.

> **Des Range Rover en quatre versions argentées**

> Comment expliquer cela ? “Ça me dépasse, soupire Steve Fowler, éditeur à Auto Express. Je ne comprends pas pourquoi il y a tant de couleurs ternes, et en plus bon nombre de voitures se déclinent en différentes teintes de gris. La Range Rover existe en quatre versions grises et quatre argentées. De combien en a-t-on réellement besoin ?” Il m’indiqua ensuite un article rapportant que, l’an dernier, plus d’un quart des véhicules nouvellement immatriculés étaient gris. Un quart ! Pire, “en deuxième et troisième positions figurent les complices du gris dans le crime de la monotonie : le noir et le blanc”. Si vous y ajoutez les teintes argentées – tout aussi responsables de la monochromie environnante -, plus de deux tiers des nouvelles voitures semblent sorties d’un film en noir et blanc.

> Olivier François, PDG de Fiat, y a vu une occasion à saisir. Mon contact à Auto Express m’a signalé une vidéo faisant l’effet d’un phare dans la brume. “Ah, le gris !” s’y désespère Olivier François, la coiffure et le geste seyant à son statut de directeur français d’une marque de voiture italienne. “La couleur préférée des constructeurs automobile ! Le gris allemand, le gris japonais, le gris français. C’est facile à vendre. Ça se vend toujours !”

> Pour lui, le gris n’est pas italien. Il en a assez. “Le monde n’a pas besoin d’une nouvelle voiture grise !” Voilà qui est parlé. “Alors, changeons les règles !” s’exclame-t-il. Sì, mon cher Olivier ! “À partir d’aujourd’hui, Fiat arrête le gris !” lance-t-il, avant de littéralement plonger – à bord de sa voiture – dans un énorme seau de peinture orange. Fiat a décidé de cesser la production de tout véhicule gris car, ainsi que le souligne son PDG, le gris n’évoque ni la joie, ni l’optimisme, ni la passion, ni la vie. M. François, je vous tire mon chapeau. Molto bene !

> **Au rayon des excentriques**

> Gris, gris, gris. Même les best-sellers de littérature érotique nous le proposent en cinquante nuances (de Grey). Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’est-ce que j’en sais ? Je ne suis qu’un type grisonnant roulant dans une voiture grise sur une route grise, en quête de réponses. Sur Twitter, l’excellent @culturaltutor souligne que nos voitures ne sont pas les seules exsangues. Vêtements, cuisines, salons, tapis, bâtiments : tout y passe. Même McDonald’s est nettement moins écarlate qu’auparavant. Le costume de Superman est lui aussi délavé. Tous nos vêtements ont pâli. Quiconque ose porter de la couleur passe aujourd’hui pour un excentrique. “Au moins, tu risques pas de te faire écraser”, lancera-t-on peut-être même à un quidam bigarré.

> Le compte @culturaltutor ne semble pas pouvoir se l’expliquer, et moi-même j’hésite à spéculer. Je suppose néanmoins que c’est peut-être parce qu’ailleurs, notamment dans l’exubérante superficialité de nos vies numériques, nous sommes surstimulés. Nos yeux sont épuisés. La grisaille ambiante est peut-être un moyen de lutter contre cela. Sauf que ça ne marche pas pour moi. Je suis un homme gris qui réclame de la couleur.